L’Unesco récompense une association de journalistes en exil du Bélarus
Depuis l'étranger, l'Association des journalistes du Bélarus (BAJ) continue de venir en aide aux journalistes indépendants dans le pays. L'UNESCO a ainsi récompensé son travail en lui attribuant le Prix mondial de la liberté de la presse Guillermo Cano 2022.
Un groupe de journalistes en exil a été mis à l’honneur ce vendredi 3 juin. L’Association des journalistes du Bélarus (BAJ) a été accueillie au siège de l’Unesco, à Paris, un mois près avoir reçu le Prix mondial de la liberté de la presse Guillermo Cano 2022. La récompense lui avait été attribuée à l’occasion de la conférence mondiale de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 2 mai dernier, à Punta Del Este, en Uruguay.
Fondée en 1995, la BAJ est une association qui œuvre pour la liberté d’expression et le journalisme indépendant au Bélarus (aussi connu sous le nom de Biélorussie). Elle regroupe 1.200 travailleurs des médias, dans le pays et ailleurs. Initialement basé à Minsk, son bureau principal est désormais installé à Vilnius, en Lituanie. En effet, aujourd’hui, la BAJ opère principalement depuis l’étranger en raison de la forte répression exercée par le régime bélarusse à l’encontre des médias indépendants.
Des journalistes muselés et arrêtés
En 2022, le Bélarus occupe la 153ème place du classement mondial de la liberté de la presse établi par l’organisation non-gouvernementale Reporters sans frontières (RSF). C’est donc le deuxième pays d’Europe le moins bien classé, derrière la Russie. RSF écrit même qu’il s’agit du « pays le plus dangereux en Europe pour les journalistes jusqu’à l’invasion russe de l’Ukraine. » Depuis 2016, 174 journalistes et collaborateurs de médias ont été emprisonnés au Bélarus.
L’année 2020 a été particulièrement éprouvante avec pas moins d’une centaine d’emprisonnements. Ce pic est lié à la réélection du président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994 et élu pour la sixième fois consécutive en août. Les résultats officiels du scrutin, largement contestés, ont engendré une vague de manifestations dans le pays, durement réprimée par les forces de l’ordre. Le régime a également multiplié les perquisitions et les arrestations ciblant des journalistes afin d’étouffer le travail des médias qui cherchaient à faire la lumière sur les évènements.
Le chiffre : 28
C’est le nombre de collaborateurs de médias emprisonnés au Bélarus à ce jour, selon Reporters sans frontières. Le Bélarus est le quatrième pays emprisonnant le plus de journalistes au monde.
Deux ans plus tard, la presse indépendante est toujours dans le collimateur du pouvoir bélarusse, comme l’explique Jeanne Cavelier, responsable du bureau d’Europe de l’Est et d’Asie Centrale de Reporters sans frontières. « Au départ, le régime a emprisonné énormément de journalistes durant de courtes périodes, comprises entre deux et trois semaines, pour des raisons ‘administratives’. Puis, il a commencé à mener des perquisitions plus ciblées et à engager des poursuites pénales à l’encontre de journalistes qui faisaient simplement leur travail. Depuis plusieurs mois, il s’attaque surtout aux blogueurs qui essaient de relater ce qu’ils se passent au Bélarus. »
De plus en plus de médias indépendants sont considérés comme « extrémistes » par le régime, et ce pour des motifs divers : atteinte aux intérêts de la nation, appel à des événements de masse non autorisés, etc. Une fois qu’il les a identifiés comme tels, le pouvoir bloque l’accès à leur site web. C’est ce qui est notamment arrivé au renommé Tut.by, interdit dans le pays. D’après RSF, une vingtaine de médias aurait été reconnue comme “extrémiste” depuis le mois d’août.
Jeanne Cavelier ajoute que le Bélarus ne respecte pas ses obligations internationales, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qu’il a ratifié en 1973. Son article 19 stipule que « toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce. » Par ailleurs, le régime bélarusse a effectué plusieurs changements législatifs qui ont fragilisé la liberté de la presse dans le pays, comme la loi n°108-Z, signée par le président Alexandre Loukachenko le 24 mai 2021. Celle-ci interdit désormais aux médias de couvrir en temps réel des événements de masse, tels que des manifestations, qui n’auraient pas été préalablement autorisés par l’État.
Être journaliste au Bélarus… ou ailleurs
Aujourd’hui, le régime bélarusse continue de s’en prendre aux journalistes indépendants, même lorsqu’ils n’exercent plus la profession. La dernière exaction en date remonte à seulement quelques jours. En effet, le 26 mai dernier, un ancien journaliste de la chaîne de télévision en ligne indépendante Belsat, Aliaksandr Lyubyanchuk, a été arrêté, puis conduit dans un centre de détention provisoire à Minsk, rapporte le Comité de protection des journalistes (CPJ). Selon la BAJ, il serait détenu dans le cadre d’une enquête criminelle, mais aucune accusation formelle n’a encore été communiquée par le gouvernement.
De manière générale, les journalistes indépendants qui continuent d’exercer leur métier au Bélarus s’exposent à un bon nombre de risques, dont celui d’être emprisonné. « Certains journalistes professionnels sont restés au pays et continuent de fournir des informations fiables et vérifiées, mais ils ne peuvent plus travailler à visage découvert. Ils poursuivent donc leurs activités de manière anonyme, en restant prudents », souligne Jeanne Cavelier. Ces journalistes continuent également d’informer en passant par des canaux de communication alternatifs, tels que la messagerie sécurisée Telegram, afin de contourner la censure exercée par l’État.
D’autres journalistes, quant à eux, s’organisent depuis l’étranger, où ils sont exilés. Certains ont même créé de nouveaux médias indépendants. Ils emploient alors un réseau de correspondants et de sources, qui travaille dans l’anonymat au Bélarus, afin d’informer librement sur l’actualité du pays. Le cas de la chaîne de télévision Belsat, fondée en 2007 et diffusée depuis la Pologne, est un exemple de référence.
En exil, la BAJ continue le combat
La grande majorité des médias bélarusses indépendants agissent depuis l’étranger, comme l’indique RSF. C’est d’ailleurs le cas de l’Association des journalistes de la BAJ. En août 2021, la Cour suprême du Bélarus a prononcé la dissolution de cette association. Aujourd’hui, elle est interdite et ses membres risquent des peines de prison. Une situation qui a poussé plusieurs centaines d’entre eux a quitté le pays. « Un an après l’élection (de Loukachenko), nous étions encore au Bélarus. Mais l’année dernière, beaucoup d’entre nous ont fui vers les pays limitrophes comme la Lituanie, l’Ukraine ou la Pologne. Aujourd’hui, la moitié de nos membres vit à l’étranger tandis que l’autre est restée au Bélarus », témoigne Barys Haretski interrogé par Latitudes.
Le président adjoint de la BAJ a lui-même quitté le Bélarus pour s’installer en Ukraine. Toutefois, l’invasion du pays par la Russie, le 24 février dernier, l’a contraint à fuir à nouveau, vers la Lituanie cette fois-ci. Depuis Vilnius, son association continue ses activités. « Nous soutenons les journalistes bélarusses restés au pays. Notre département juridique vient en aide à ceux qui auraient des problèmes avec les autorités par exemple. Mais nous apportons aussi notre soutien aux journalistes qui vivent à l’étranger. Lorsqu’ils arrivent dans un nouveau pays, ils doivent obtenir des papiers, régulariser leur situation administrative, trouver un travail, etc. Nous les aidons dans leurs démarches. »
« La BAJ est essentielle pour soutenir le journalisme indépendant au Bélarus », assure Jeanne Cavelier avant d’argumenter. « Son travail de monitoring est très important. Elle fournit des données fiables sur les exactions commises contre les journalistes dans le pays, ce qui permet de plaider auprès des organisations internationales ensuite. » Malgré l’exil d’une partie de ses membres, la BAJ reste donc un organisme déterminant pour défendre la liberté de la presse au Bélarus.