Nagihan Akarsel : qui était cette puissante voix féministe assassinée ?
Au moment où un slogan féministe résonnait dans le monde entier, une puissante voix féministe kurde a été réduite au silence au Kurdistan irakien, dans l’indifférence totale de l’Occident. Qui était cette femme ? Pourquoi se battait-elle ? Pourquoi a-t-elle été prise pour cible ?
Dans son dernier article, elle soulignait le lien que les femmes établissaient ou établiront avec la nature, la vie et la société. Pour elle, ce lien était un exutoire nécessaire pour les hommes.
« Cependant, pour ceux qui sont passionnément attachés à la nature, à la liberté et à la vie, la compréhension est le cours normal de la vie », disait-elle dans cet article intitulé « À commencer par l’empathie », publié dans le 7e numéro de la revue « Jinéoloji ».
Nagihan Akarsel, journaliste, universitaire et chercheuse féministe à l’Académie de jinéologie (“science des femmes”) au Kurdistan irakien, a été tuée le 4 octobre devant sa maison à Souleymanieh.
L’attaque n’a pas été revendiquée officiellement, mais tout le monde savait que l’auteur de ce crime était bel et bien le régime turc. Le 10 octobre, lors d’une cérémonie d’ouverture à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, l’ambassadeur de Turquie en Irak, Ali Rıza Güney, a fait une déclaration sans équivoque.
« Toute personne en lien avec le PKK est notre cible », a-t-il dit devant des caméras en direct, en réponse à la question d’une journaliste concernant l’assassinat de Nagihan Akarsel.
Cet assassinat coïncide également avec la visite à Erbil, le 4 octobre, du chef des services de renseignements turcs (MİT), Hakan Fidan.
« Notre camarade Nagihan Akarsel, qui se battait depuis des années pour éclairer la vérité de la femme qui est restée dans le noir, pour éclairer la sagesse féminine perdue et pour faire remonter la vérité à la surface a été assassinée par l’État turc à Suleymaniyeh. Vous ne pouvez pas faire taire la plume de la vérité ! », avait dénoncé le 4 octobre le Mouvement des femmes libres (Tevgera Jinên Azad-TJA).
Née dans la province turque de Konya, Nagihan Akarsel résidait à Souleymanieh depuis 3 ans. Elle était la co-rédactrice en chef de Jineologî, un magazine consacré à « la science des femmes ».
Cette science considère la liberté individuelle des femmes comme une condition préalable indispensable à la libération de la société.
L’assassinat de cette féministe kurde a été condamné par de nombreuses organisations dont Reporters sans frontières (RSF).
« RSF dénonce avec force l’assassinat de la journaliste et écrivaine féministe kurde Nagihan Akarsel, perpétré au moment où les femmes kurdes mènent une révolte pour la libération des femmes », déclare le bureau du Moyen-Orient de RSF.
« Il s’agit de la cinquième attaque, dont quatre mortelles, contre un résident d’origine turque au Kurdistan irakien ou un activiste critique du gouvernement turc en moins d’un an. Nous demandons aux autorités locales de tout mettre en œuvre pour faire la lumière sur cette affaire, pour juger les auteurs de cet assassinat et rendre justice à Nagihan Akarsel », ajoute RSF.
Le 28 août 2022, les services secrets turcs (MIT) ont tué l’écrivain et historien Suheyl Khourshid Aziz, membre de l’Assemblée générale du mouvement ‘Azadi’ (Liberté), devant sa maison à Kifri, dans le gouvernorat de Diyala.
Le 17 mai 2022, un militant politique du Kurdistan de Turquie, Zeki Çelebi, a été pris pour cible. Réfugié au Kurdistan d’Irak, il a été tué à Souleymanieh. Ses assassins n’ont toujours pas été identifiés.
Tous ces assassinats qui ne représentent qu’une infime partie des crimes commis à l’étranger par la Turquie sont passés sous silence dans les grands médias. Quant aux gouvernements occidentaux, c’est le silence total.
L’assassinat de Nagihan Akarsel est intervenu au moment où le slogan des femmes kurdes « Jin jiyan azadî » (Femme, vie, liberté) résonne dans le monde entier.
« Il y a une révolte des femmes, une révolte contre les régimes autoritaires, contre les régimes oppresseurs et les régimes fascistes. Aujourd’hui, des femmes et des peuples du Moyen-Orient, à l’initiative des femmes kurdes, défient ces régimes avec le slogan Jin, jiyan, azadi ! Nous savons que ce n’est pas une coïncidence si Negahan a été pris pour cible », a dénoncé la députée kurde du HDP Dilan Dirayat Tasdemir, lors d’une manifestation à Agri, au Kurdistan de Turquie. Pour elle, « la mentalité patriarcale et étatique a visé, à travers l’assassinat de Nagihan Akarsel, le mouvement des femmes kurdes, les revendications des femmes, leur lutte pour recréer la vie. »
« Nous faisons grandir la révolution des femmes dans tout le Kurdistan et au-delà contre la même mentalité de fascisme patriarcal qui a brutalement assassiné Jîna Aminî (Mahsa Amini)» , ajoute de son côté le magazine Jinéolojî, dans un communiqué, faisant référence à la jeune femme kurde de 22 ans morte en détention après son arrestation par la police des mœurs à Téhéran, en Iran.
L’empathie entre les deux sexes
Dans son dernier article, Nagihan Akarsel soulignait l’importance de l’empathie entre les deux sexes et questionnait une fois de plus les codes de la masculinité. L’article répondait également à la question de savoir s’il était possible de voir les identités masculines et féminines polarisées par le système patriarcal se complètent.
« Il est essentiel pour les hommes de développer leur conscience de genre et leur amour. Le renversement de l’acceptation générale selon laquelle le rassemblement des hommes ou la volonté organisée des hommes produit la domination est lié au fait que les hommes se débarrassent des approches pragmatistes et créent l’amour du genre. »
« La femme organisée est le moment fondamental du changement de culture dominée par les hommes. La prise de conscience de cela est nécessaire pour que les hommes et les femmes comprennent pourquoi une vie libre est identique à une vie centrée sur la femme. Nous ne parlons pas de telle ou telle femme ou de tel ou tel homme. Les femmes organisées sont responsables du changement et de la transformation des hommes. À l’initiative d’un tel pouvoir féminin, l’homme rencontrera sa propre nature et sa liberté. »