Géorgie : « Il est beaucoup plus difficile d’être journaliste aujourd’hui qu’il y a 4 ou 5 ans »
Sans changement de gouvernement, l’existence même d’une presse indépendante est compromise, estime Mariam Nikuradze, fondatrice de OCMedia.org.
Le 5 juillet 2021, Lekso Lashkarava, caméraman de la chaîne « TV PIRVELI », couvrait la manifestation agressive annoncée par les forces politiques homophobes et pro-russes contre la LGBT Pride à Tbilisi, la capitale de Géorgie. Il y a été violemment attaqué et grièvement blessé, uniquement parce qu’il était journaliste et qu’il tenait une caméra. Il est décédé chez lui six jours plus tard, des suites de ses blessures. Les autorités ont déclaré que sa mort était due à une overdose…
Malgré les garanties constitutionnelles sur la protection des droits de la presse, et les déclarations publiques du gouvernement, la liberté de la presse en Géorgie est plus une illusion qu’une réalité. Derrière les façades de la démocratie géorgienne en construction, en coulisses, les forces politiques parviennent à contrôler et à faire chanter les médias par des pressions économiques et juridiques. Les journalistes géorgiens doivent travailler dans une situation critique, ils sont victimes de violences physiques, de poursuites judiciaires et de sanctions financières. Lorsqu’un journaliste travaille, il se rend compte qu’il risque gros.
« La loi russe »
En Géorgie, les télévisions sont souvent des outils de propagande contrôlés par diverses forces politiques. On peut le constater dans les émissions d’information, où les journalistes soutiennent directement et ouvertement une force politique spécifique. Parce que les médias ont besoin d’argent et que les journalistes ont besoin de salaires, et que les chaînes de télévision ne disposent que de riches donateurs ayant des intérêts politiques.
Mais en Géorgie, il existe des organisations non gouvernementales et des plateformes de médias en ligne qui comptent de nombreux lecteurs et publics, notamment la nouvelle génération, qui ne veut pas regarder cette télévision, et préfère suivre l’actualité sur leur smartphones.
Les médias en ligne et les organisations non gouvernementales (ONG) reçoivent un financement de l’Union européenne, des États-Unis ou de fonds internationaux, ce qui permet à ces médias et ONG d’être indépendants, d’échapper aux influences des autorités, de parler des problèmes publics et de dénoncer la propagande gouvernementale. C’est pourquoi le gouvernement a adopté une loi sur la transparence des influences étrangères, surnommée la « loi russe ». Elle oblige toutes les organisations non gouvernementales et tous les médias à s’enregistrer comme « agents étrangers » s’ils sont financés par l’UE, les États-Unis ou des fonds internationaux. Cette loi a suscité des protestations de la part de la plus grande partie de la société, et des milliers de personnes ont manifesté contre elle. Mais la loi a été adoptée.
Les 4 défis pour un journalisme libre
Mariam Nikuradze est journaliste et photojournaliste géorgienne. Elle est également fondatrice et directrice exécutive de OCMedia.org, un média en ligne pour « un journalisme indépendant dans le Caucase ».
« Aujourd’hui, les médias sont confrontés à quatre défis principaux, souligne-t-elle. Le premier concerne la sécurité physique des journalistes, qui s’est détériorée depuis le 5 juillet 2021 et ne cesse de s’aggraver. Il n’est plus sûr de travailler sur le terrain. La sécurité législative est le second défi. La loi sur les agents étrangers cible directement les médias en ligne et le secteur non gouvernemental, mais d’autres changements législatifs controversés ont été adoptés ou sont sur le point de l’être, notamment des amendements à la loi sur la radiodiffusion, un « code de conduite » au Parlement , et une loi « anti-LGBT » attendue qui impose la censure à propos de la communauté LGBT. »
Mariam Nikuradze poursuit : « Le défis financier a toujours été un problème, et maintenant il est devenu encore plus aigu, car de nombreuses organisations dépendantes des donateurs ne survivront probablement pas en vertu de la loi. Enfin, les campagnes de haine et les pressions directes du gouvernement sur nous, journalistes et médias, sont un quatrième obstacle pour un journalisme libre. »
« Si ce gouvernement reste au pouvoir, de nombreux médias libres pourraient tout simplement disparaître. »
Mariam Nikuradze évoque aussi l’influence des événements politiques en Géorgie et les conséquences des récents changements législatifs. « Il est beaucoup plus difficile d’être journaliste en Géorgie aujourd’hui qu’il y a 4 ou 5 ans. En fait, notre existence même est menacée et, si ce gouvernement reste au pouvoir, de nombreux médias libres pourraient tout simplement disparaître ou devoir opérer depuis l’étranger. »
Pour la journaliste, seul un changement de gouvernement permettrait d’espérer un meilleur avenir. Un avenir très difficile à prévoir. « C’est un peu difficile de parler d’années, quand on ne sait pas ce qui va se passer dans 2 mois et que beaucoup de choses en dépendent. Si ce gouvernement reste, il continuera probablement sur la voie de la Russie-Biélorussie et cela deviendra de plus en plus difficile pour l’activisme et l’existence de médias libres dans le pays. Si le gouvernement est changé, la première priorité sera d’annuler et d’inverser ces changements antidémocratiques, puis tout le reste. »
Des élections le 26 octobre
Les études de Reporters sans frontières (RSF) montrent que la liberté de la presse en Géorgie s’est aggravée d’ici 2024. Dans l’enquête de RSF, la Géorgie a été placée à la 103 e place de la liste mondiale, alors qu’elle occupait auparavant la 77 e place. Cette chute radicale s’explique par le fait que les agressions physiques contre les journalistes se sont multipliées en Géorgie, et par les changements législatifs qui aggravent l’environnement de la presse.
Des élections législatives auront lieu en Géorgie le 26 octobre 2024. En cette période préélectorale, le travail des journalistes devient encore plus difficile et plus dangereux. Le scrutin du 26 octobre qui renouvellera le parlement pour quatre années aura des implications existentielles pour la liberté de la presse.