—  Récits  —

Kela Canka : de l’Albanie à la Wallonie, une vie au rythme effréné

- 24 septembre 2025
Installée avec sa famille en Belgique, Kela Canka est une femme souriante et optimiste. Membre de l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, son alto continue d’émerveiller les oreilles de plus d’une personne. © François Lamon.

Kela Canka est une musicienne albanaise qui a quitté son pays dès son plus jeune âge. Très vite elle a compris que pour un avenir serein, rester vivre dans son pays de naissance n’est pas une option. C’est alors équipée de son alto que son voyage commence. De Tirana à Mons, portrait d’une artiste au parcours tumultueux.

Aujourd’hui installée avec sa famille en Belgique, Kela Canka est une femme souriante et optimiste. Née en 1976 à Tirana en Albanie, c’est une musicienne au curriculum vitae complet. Membre de l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, son alto continue d’émerveiller les oreilles de plus d’une personne. Cependant cette stabilité, elle ne l’a pas toujours connue.

Une jeunesse en Albanie

Lorsque vient le sujet de son enfance, c’est avec enthousiasme que Kela la décrit comme calme. Née d’une mère ingénieure à Tirana, alors capitale de la République populaire socialiste d’Albanie, sa vie est paisible.

« En tant qu’enfant, on ne se rend pas compte de la situation (…), tu ne sais pas qu’ailleurs il n’y’a pas de ration. »

Dans ses souvenirs, Tirana est une ville sans voitures, alors réservées aux dignitaires de l’état. Elle explique que la vie en Albanie, à l’époque, est une vie dans la pauvreté : « Les magasins étaient vides, il fallait faire la file à 4 heures du matin pour avoir du pain et du lait. »

Cette pauvreté ne l’a pas empêchée de s’épanouir. « En tant qu’enfant, on ne se rend pas compte de la situation (…), tu ne sais pas qu’ailleurs il n’y’a pas de ration. C’est comme ça, la vie est comme ça. »

C’est dans ce contexte que son histoire avec la musique commence à l’âge de 5 ans. Elle participe à un concours pour rentrer à l’Académie de musique de Tirana et le réussit. Elle grandit alors en développant son art.

C’est durant son adolescence dans les années 90 que le calme laisse place au chaos. En 1991, la pauvreté ambiante pousse la population, notamment les étudiants, à une révolte qui fait tomber le régime communiste isolationniste en place depuis quatre décennies.

La fin du régime communiste indique aussi l’ouverture du pays au monde extérieur, c’est ainsi que la jeune musicienne part à l’âge de 14 ans en Italie pour poursuivre son enseignement puis en Autriche, en France avant de rentrer finalement en Albanie pour des raisons de passeport. C’est ce retour en Albanie qui la convainc à ne plus vivre là-bas.

« Quand je roulais à vélo, je roulais sur des douilles et j’ai pu apercevoir de loin des corps. »

Son retour est marqué par ce qui est aujourd’hui parfois appelé la « Guerre civile albanaise de 1997 ». Une période de conflits internes qui dura 6 mois où la structure économique du pays, basée alors sur la spéculation, mise en place après la chute du précédent régime s’est elle-même écroulée transformant alors l’Albanie en une terre de crise et de tensions entre les partisans des deux forces politiques post-communiste : le parti démocrate au pouvoir et le parti socialiste dit « rebelle ».

Kela raconte que la population, à ce moment, parvient à se fournir en armes et qu’un couvre-feu est obligatoire dès 19h30, elle présente la situation comme telle : « Quand je roulais à vélo, je roulais sur des douilles et j’ai pu apercevoir de loin des corps. » Dans cette période de tensions donc, la violence armée n’est pas rare : elle perd des amis durant ces mois sombres.

« J’ai fait mon diplôme dans une cave car les salles de musique n’était pas protégée contre les balles. »

C’est dans cet environnement qu’elle continue tout de même sa formation pour terminer son diplôme sur place : « J’ai fait mon diplôme dans une cave car les salles de musique n’était pas protégée contre les balles », dépeint-elle.

Le diplôme obtenu, sa décision est prise : elle doit partir.

Son arrivée en Belgique

Une fois sa décision prise, c’est à Aix-en-Provence en France qu’elle trouve d’abord refuge pour retrouver des amis et pour un stage de musique. De cette ville, elle ne retient pas que du bien. Elle décrit les gens à son égard comme pas amicaux et fermés d’esprit. C’est alors que d’autres amis la contactent pour cette fois-ci les rejoindre à Namur.

« La première fois que je les ai vus à Namur, j’ai pleuré. »

C’est d’une voix tremblante, éloignée de sa joie habituelle, que Kela explique son arrivée en Belgique. Ses amis musiciens, réfugiés politiques, étaient des artistes de rues qui essayaient de gagner leur vie comme ils le pouvaient : « La première fois que je les ai vus à Namur, j’ai pleuré. » précise-t-elle.

Des artistes qu’elle rejoindra par la suite pour joindre les deux bouts : « On était obligés d’aller dans la rue (NDLR : jouer de la musique) pour aller, ne serait-ce, chercher du gouda au Colruyt », décrit-t-elle.

C’est alors en compagnie de cette troupe que Kela essaie de gagner sa vie jusqu’au jour où un professeur du Conservatoire de Mons vient à leur rencontre lors d’un concert de rue et leur propose de tenter l’examen d’entrée qu’ils accepteront tous et le réussiront tous. De cette réussite, elle intégrera l’orchestre national de Belgique mais elle ne veut qu’une chose : faire partie d’un orchestre de chambre. Une série de circonstances lui permettent d’avoir la chance de tenter d’intégrer l’orchestre de chambre de Wallonie et de finalement le rejoindre.

« En Albanie, je suis belge, mais en Belgique, je suis albanaise. »

Au-delà des difficultés économiques et de la réussite professionnelle qui a suivi, elle confie avoir été victime de discriminations qui persistent encore aujourd’hui : « En Albanie, je suis belge, mais en Belgique, je suis albanaise. »

Dans l’administratif, par exemple, elle explique que chaque mois elle devait remplir ce qui était appelée « la carte orange », un document d’attestation de séjour provisoire. Elle développe son expérience en dévoilant que le simple fait d’évoquer ses origines faisait qu’elle était placée en bas dans la liste des priorités, la forçant à attendre dans le bâtiment et donc l’empêchant de gagner sa vie. « Dire que tu es musicienne albanaise suffisait à mettre une clôture, coupant toute discussion », déplore-t-elle.

Finalement, malgré toutes ces péripéties dans sa vie, elle se considère chanceuse sur son parcours et elle garde son optimisme. « Les regrets c’est pas pour moi, je ne changerais rien à ma vie. »

Note : cet article a été rédigé par un étudiant en 2e année de l’option Information et Communication de l’UMons, dans le cadre d’un atelier coordonné par Lorrie D’Addario et Manon Libert.