Les Iraniens sont prêts à payer le prix fort pour leur liberté
La mort de Jina Mahsa Amini a provoqué une vague de manifestations en Iran. À ce jour, plus de 2 .200 participants auraient été arrêtés et plus de 250 auraient été tués. Il est à craindre que les manifestants subissent des tortures de masse dans les prisons iraniennes.
Le 16 septembre 2022, Jina Mahsa Amini, 22 ans, perd la vie dans un hôpital de Téhéran, trois jours après avoir été arrêtée par la brigade des mœurs en raison d’une mèche de cheveux qui dépassait de son foulard.
Depuis lors, les Iraniens sont descendus dans les rues à plusieurs reprises. Le jour des funérailles de la jeune fille, une première manifestation de masse a été organisée à Saqqez, sa ville natale située dans la province du Kurdistan. Pendant le rassemblement, les participants scandaient « mort au dictateur ». Si des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses régions du pays durant les jours suivants, celles-ci se poursuivent encore à l’heure actuelle et se sont étendues à plus de 80 villes et villages. Les femmes enlèvent leur foulard ou y mettent le feu alors que les hommes expriment leur désaccord vis-à-vis du régime religieux strict en scandant « femmes, vie, liberté ». En réponse à ces protestations, les autorités iraniennes ont bloqué l’accès à Instagram et WhatsApp, deux applications très populaires dans le pays alors que les autres réseaux sociaux avaient déjà été supprimés par le passé. De plus, elles ont régulièrement coupé Internet au cours de ces deux dernières semaines.
Le drapeau tissé de cheveux
Le drapeau composé de longs cheveux noirs est apparu partout dans la couverture médiatique des manifestations en Iran. Toutefois, cette œuvre a été conçue en 2014 par l’artiste belge Édith Dekyndt en mémoire au passé colonial de la Martinique, île française d’outre-mer.
Brigade des mœurs et manifestations de masse
Quelles sont précisément les raisons de ces manifestations emblématiques ? La brigade iranienne des mœurs a une fois encore fait parler d’elle lors du décès de Mahsa Amini. Créée en 2005, la Gasht-e Ershad, en farsi, est connue pour sa sévérité à l’égard du mode de vie et des tenues vestimentaires des femmes. Chargée de soutenir les forces de sécurité, cette unité met en garde les citoyennes qui ne respectent pas les codes vestimentaires islamiques dans les parcs, les centres commerciaux et les places publiques, qui sont des lieux de rassemblements. Tout comme Mahsa Amini, les réfractaires sont emmenées au poste de police et sont torturées. Les jeunes filles et les femmes ne peuvent être libérées que si un parent masculin se présente au poste de police et signe un formulaire attestant que son épouse ou sa fille ne se promènera plus dans les rues de manière « indécente ».
Cependant, jusqu’au renversement du régime pro-occidental du chah Mohammed Reza Pahlavi, les Iraniennes bénéficiaient d’une certaine liberté. Il n’était pas rare de les voir en minijupe et les cheveux découverts en rue. Elles suivaient l’exemple de Farah Pahlavi, l’épouse du chah d’Iran.
Toutefois, cette situation a changé après la révolution islamique de 1979. Peu après le renversement du régime, toutes les lois portant sur les droits des femmes ont été abolies en Iran. La même année, l’ayatollah Khomeini, guide de la révolution, a promulgué un décret imposant le port du foulard à toutes les femmes sur leur lieu de travail et déclarant que les femmes non voilées seraient considérées comme « nues ». Le lendemain, plus de 100.000 citoyens, dont de nombreuses femmes, sont descendus dans les rues de Téhéran. Cet événement s’est déroulé le 8 mars 1979, journée internationale des droits de la femme.
Nous nous sommes entretenus avec Zarali Nikrawesh, un Belge d’origine iranienne. Durant son adolescence, il a été incarcéré dans une prison iranienne avant de fuir vers la Belgique, en passant par l’Irak. S’intéressant de près à l’évolution de la situation dans son pays natal, il est convaincu que le régime iranien va traquer les manifestants et les faire arrêter. Dans son témoignage sur la brutalité du régime, il a raconté un événement qui s’est déroulé dans la prison iranienne où il a passé huit ans de son adolescence. « Dans la cour d’une prison près de Téhéran, on peut voir la potence, prête pour les exécutions de masse. Parmi d’autres prisonniers, une jeune fille est exécutée. Alors qu’elle était vierge, elle est violée avant de mourir afin de ne pas pouvoir accéder au paradis, car, selon les hommes du régime des Mollahs, les femmes vierges vont directement au paradis après leur décès. Cette jeune fille doit, tout d’abord, épouser un commandant des gardiens de la révolution. Il entre ensuite dans la chambre en compagnie d’un imam et, avant de quitter la pièce, le commandant dit trois fois “Je divorce”, ce qui, selon les règles islamiques, suffit à dissoudre le mariage. Finalement, la femme est lavée par d’autres femmes, rendue halal et ensuite exécutée. »
Un système de plus en plus répressif
Après la révolution iranienne, la police a rencontré des difficultés pour faire appliquer le nouveau code vestimentaire strict, car les femmes trouvaient des moyens de contourner partiellement les règles imposées. En effet, elles portaient notamment des vêtements couvrants, mais moulants ou mettaient le voile de manière ample afin que leurs cheveux soient visibles. Progressivement, la réglementation est devenue plus stricte. En 1981, une nouvelle loi obligeait les femmes et les jeunes filles à s’habiller dans un « style islamique ». Deux ans plus tard, le Parlement a adopté une réglementation stipulant que les femmes qui ne couvraient pas entièrement leurs cheveux pouvaient être punies de 74 coups de fouet en public. Par la suite, une condamnation à 60 ans de prison a été ajoutée.
Au cours des dernières années, ces règles strictes n’ont que très peu changé, mais leur application et la sévérité des sanctions ont varié en fonction du président. Mahmoud Ahmadinejad, président de l’Iran de 2005 à 2013, avait affirmé durant sa campagne présidentielle qu’il adopterait une « position plus progressiste » sur la question. Toutefois, dès le jour de son entrée en fonction, il a établi la brigade des mœurs.
Sous l’actuel président Ebrahim Raisi, un religieux extrémiste, de nouvelles mesures restrictives ont été imposées l’année dernière. Parmi elles figurent l’installation de nombreuses caméras dans les rues pour surveiller les femmes, des sanctions plus sévères pour les femmes qui ne se couvrent pas correctement les cheveux et des peines de prison pour ceux qui s’opposent au foulard sur les réseaux sociaux.
En raison de ces restrictions, non seulement le nombre d’arrestations a augmenté, mais également le nombre de photos et de vidéos de femmes sans foulard sur les réseaux sociaux. Au cours des dernières décennies, les femmes iraniennes n’ont cessé de lutter contre la répression de nombreuses manières. Ainsi, Jina Mahsa Amini, comme beaucoup de femmes avant elle, a payé un lourd tribut.
Les manifestations se poursuivent
En Iran, les manifestations se poursuivent depuis des semaines. À ce jour, on estime que les forces de sécurité ont déjà arrêté plus de 2.200 personnes. Les étudiants de l’Union des étudiants de l’université de Téhéran ont déclaré qu’au moins 30 de leurs étudiants ont été arrêtés. Selon le syndicat des journalistes iraniens Tehran Journalists Syndicate, des dizaines de journalistes ont été arrêtés et plus de 250 manifestants auraient été tués.
D’après le rapport publié le 3 octobre par Hengaw, une organisation de défense des droits humains basée en Iran, les détenus sont soumis à de sévères tortures. De plus, des rumeurs d’exécutions secrètes sans procès circulent.
La peine de mort est toujours d’application dans 23 pays du monde. Selon l’organisation de défense des droits humains Amnesty International, la Chine compte le plus grand nombre d’exécutions en 2021 et est suivie de l’Iran. « Si vous voulez connaître un pays, regardez comment les citoyens y meurent », disait le philosophe français Albert Camus.