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Les Kolbars portent sur leurs épaules les multiples visages du régime iranien

- 28 mai 2024
Dans les régions frontalières du Kurdistan iranien, des silhouettes familières arpentent les chemins escarpés des montagnes. © Kolbarnews.

Les Kolbars, ces travailleurs frontaliers du Kurdistan iranien, incarnent bien plus que des porteurs de marchandises : ils portent sur leurs épaules les multiples visages du régime iranien, mais aussi le fardeau des maux socio-économiques et politiques qui les entourent. Ces régions sont devenues le théâtre d'une violence croissante à leur encontre. Selon les données alarmantes enregistrées par Kolbarnews en 2023, la situation atteint des proportions inquiétantes.

Au cours de l’année 2023, un total de 299 Kolbars ont été victimes d’incidents tragiques, notamment des tirs directs des forces militaires du régime, des gelures, des accidents de mines, des chutes de montagnes et d’autres causes.

Parmi ces incidents, une proportion choquante de 87 %, soit 261 cas, a été attribuée à des tirs directs des forces militaires du régime, représentant ainsi une escalade significative de la violence étatique contre ces travailleurs frontaliers. Une statistique particulièrement déchirante révèle que parmi les 299 Kolbars touchés en 2023, 30 étaient des enfants de moins de 18 ans.

Les données recueillies au cours des sept dernières années par Kolbarnews (NDRL : site web d’information en persan et en kurde qui couvre les nouvelles sur les Kolbars) peignent un tableau sombre et alarmant de la situation des Kolbars dans les zones frontalières.

Des tirs directs des forces militaires

Depuis sa création le 17 juillet 2017, Kolbarnews compte un total de 1.344 Kolbars tués ou blessés, soit 341 pertes de vie et 1.003 blessés. Encore une fois, une prédominance choquante de 74 % de ces incidents est attribuée à des tirs directs des forces militaires du régime.

Les statistiques annuelles détaillées depuis 2017 mettent en lumière une escalade continue de la violence contre les Kolbars :

  • En 2017, 16 Kolbars ont perdu la vie et 31 ont été blessés, totalisant 47 victimes.
  • En 2018, le nombre de décès a grimpé à 70, avec 158 blessés, pour un total de 228 victimes.
  • En 2019, la violence a continué de sévir avec 80 décès et 183 blessés, totalisant 263 victimes.
  • En 2020, 67 Kolbars ont trouvé la mort et 163 ont été blessés, totalisant 230 victimes.
  • En 2021, 54 Kolbars ont été tués et 167 blessés, pour un total de 221 victimes.
  • En 2022, bien que le nombre total d’incidents ait diminué, la violence persiste avec 43 Kolbars tués et 215 blessés, totalisant 258 victimes.
  • Enfin, du 1er janvier 2023 au 17 juillet 2023, 11 Kolbars ont perdu la vie et 59 ont été blessés, pour un total de 70 victimes.

Nous avons interviewé Hemin Amani, membre du conseil d’administration de Kolbarnews, pour obtenir un éclairage crucial sur la situation des Kolbars dans les zones frontalières.

M.A. : Qui sont les Kolbars et que font-ils ?

H.A. : « Les kolbars sont des individus qui transportent des marchandises sur leur dos ou à l’aide d’animaux de bât tels que des mules ou des chevaux.

Un kolbar est une personne qui, tout en exécutant le travail le plus pénible et dangereux, perçoit les salaires les plus bas. Ils sont contraints de se rendre à la frontière chaque jour pour effectuer le kolbari afin de gagner leur vie, une lutte quotidienne pour la survie.

Le kolbari est une forme de travail ardue et risquée, souvent confrontée à une forte probabilité de violence et même de décès lors du passage de la frontière. « Kolbar » est un terme kurde désignant à la fois les hommes et les femmes qui transportent des marchandises sur leur dos et leurs épaules à travers les frontières. »

Que transportent-ils à travers les frontières ?

« Les kolbars transportent principalement des marchandises telles que des appareils électroniques, des vêtements, des cigarettes et des articles ménagers. Ces marchandises sont généralement originaires d’un pays pour être vendues dans un autre pays sur les marchés locaux ou à des particuliers. »

D’où proviennent et où vont ces produits transportés ?

« Les marchandises transportées par les Kolbars proviennent généralement de pays où les prix sont plus bas ou où les réglementations sont différentes, et sont acheminées vers des pays où la demande pour ces produits est plus élevée ou où elles peuvent être vendues à un prix plus élevé. Par exemple, les Kolbars peuvent transporter des marchandises de l’Irak vers l’Iran ou de la Turquie vers l’Iran.

Les commerçants des villes telles que Téhéran, Chiraz et Ispahan commandent des marchandises en gros en ligne ou se rendent eux-mêmes dans des pays comme Oman, la Chine, Dubaï et d’autres destinations. Ils transportent ces marchandises jusqu’à la frontière, où les Kolbars se chargent de les faire entrer en Iran. Les marchandises sont ensuite distribuées à l’intérieur des frontières iraniennes et envoyées vers les grandes villes. »

Esclavage moderne

Depuis quand cette pratique existe-t-elle ?

« Le kolbari, considéré comme la profession la plus périlleuse, économiquement défavorable et physiquement épuisante dans les zones frontalières, peut être qualifié d' »esclavage moderne ». Cette activité a émergé relativement récemment, plusieurs décennies après la révolution iranienne de 1979. Elle a pris de l’ampleur, en particulier dans les régions kurdes de l’Iran, à la suite de la guerre Iran-Irak dans les années 1980 et des difficultés économiques qui en ont découlé pour de nombreuses personnes dans la région. »

Pourquoi s’engagent-ils dans ce travail dangereux ?

« Il est important de noter que le kolbari n’est pas apparu soudainement, mais résulte de divers facteurs. En réalité, le kolbari est le produit du chômage, de la pauvreté, des conditions économiques difficiles, du manque d’industries et d’opportunités d’emploi, de la répartition inégale des richesses, du sous-développement et des problèmes de sécurité dans les zones frontalières.

La pauvreté extrême et le manque de développement ont contribué à l’émergence du kolbari. Le taux de chômage dans les régions kurdes ne cesse d’augmenter, et malgré les dangers associés au kolbari, de plus en plus de personnes se tournent vers cette profession chaque jour. Parmi les kolbars, on trouve souvent des adolescents de moins de 14 ans et des personnes âgées de plus de 65 ans.

« Le gouvernement les transforment pratiquement en « non-citoyens ». »

Le manque d’emplois industriels durables et la discrimination du gouvernement central envers les provinces frontalières, en particulier le Kurdistan, le Kermanshah et l’Azerbaïdjan occidental, en raison de leur diversité nationale et religieuse, contribuent à la marginalisation économique de ces régions. L’absence d’opportunités d’investissement et le sous-développement entraînent une augmentation du chômage et poussent les individus à émigrer comme travailleurs migrants vers d’autres provinces ou à recourir au kolbari par nécessité. Cette migration et le chômage élevé sont les principaux moteurs de la croissance du phénomène kolbari dans ces provinces.

Plutôt que d’améliorer les conditions de vie de ses citoyens vivant dans les zones frontalières, le gouvernement iranien non seulement supprime leurs droits de citoyenneté au sein de la société, les transformant pratiquement en « non-citoyens » de l’Iran, mais il ferme également fréquemment les postes frontières, abandonnant ainsi le kolbari, qui constitue leur seul moyen de subsistance, dans les limbes des frontières. »

Pourquoi le régime iranien les prend-il pour cible ?

« Le kolbari a différentes significations selon qu’on le voit du point de vue des kolbars eux-mêmes ou du gouvernement iranien. Selon le gouvernement iranien et les lois internationales, le passage de la frontière est considéré comme une migration transfrontalière et est soumis à l’ordre et à la loi. Les Kolbars franchissent la frontière de manière illégale et risquent donc des conséquences juridiques. Même en vertu de la loi iranienne, des peines sont déterminées en fonction de la valeur des biens apportés par les Kolbars, ces peines pouvant aller de quelques mois à plusieurs années de prison. Cependant, dans la pratique, ces peines sont rarement appliquées.

Violences physiques et humiliations

Les kolbars sont presque chaque semaine la cible de tirs directs de la part des forces de patrouille frontalière, qui tirent sur eux sans hésitation ni doute.

Il est également important de noter que les Kolbars sont souvent victimes d’humiliations et de violences physiques de la part des soldats, même lorsqu’ils ne sont pas visés par des tirs. »

Le régime iranien traite-t-il de la même manière les grands trafiquants de drogue ou d’autres marchandises illicites ?

« Les Kolbars sont les seuls responsables du transport des marchandises à travers les frontières, et non les propriétaires des biens qu’ils transportent sur leurs épaules le long d’itinéraires difficiles. Le phénomène du kolbari résulte de la discrimination, de l’inégalité et de l’oppression exercées par le gouvernement iranien à l’encontre du peuple du Kurdistan d’Iran.

Bien que nous entendions parler et lisions des nouvelles et des statistiques concernant le trafic de drogue et les sanctions imposées par ce régime, nous devons également garder à l’esprit le fait que le régime islamique d’Iran et le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) sont directement et indirectement responsables et impliqués dans le trafic de drogue.

« Le régime iranien considère les Kolbars comme une menace pour le contrôle de l’État. »

Dans l’ensemble, le régime iranien considère les Kolbars comme une menace pour le contrôle de l’État, la stabilité économique et la sécurité dans les régions frontalières. Par conséquent, ils sont souvent victimes de harcèlement, d’arrestations, de confiscation de biens et d’autres formes de répression de la part des autorités gouvernementales.

Même si le régime n’assimile pas ces Kolbars à de grands trafiquants de drogue, un examen des nouvelles et des statistiques fournies par Kolbarnews au cours des sept dernières années montre que, dans une situation de discrimination exacerbée et de violations flagrantes des droits humains, de meurtres et d’agressions, la dignité de ces citoyens est également bafouée. »