Occupation turque d’Afrin : déplacement forcé, nettoyage ethnique et violation des droits humains (2/3)
Alors que le monde détournait le regard, refusant de reconnaître les invasions de l’État turc, la ville autrefois majoritairement kurde d'Afrin, au Rojava (Kurdistan syrien), a subi une transformation profonde depuis son occupation en mars 2018.
Ce qui était autrefois un bastion culturel kurde vibrant est devenu le théâtre d’un déplacement forcé massif, d’un nettoyage ethnique, d’enlèvements systématiques et de violations criantes des droits fondamentaux. Les rapports des organisations de défense des droits de l’homme décrivent un tableau alarmant, mettant en lumière les pratiques brutales qui ont déplacé des centaines de milliers de personnes et modifié radicalement la composition démographique de la ville.
Avant l’occupation de la ville kurde d’Afrin par l’État turc en mars 2018, cette ville était kurde à 95 %. Les organisations de défense des droits de l’homme et l’administration autonome résument les pratiques dans la ville comme suit : « Enlèvement, extorsion, pillage, torture, exécution, déplacement forcé, nettoyage ethnique, menaces, chantage, rançon, éducation turque forcée, éducation religieuse forcée, turquisation des noms de villages et de rues… »
Déplacement forcé et nettoyage ethnique
Avec l’occupation d’Afrin, plus de 350 000 personnes ont été déplacées. Selon les autorités locales, la population kurde d’Afrin n’est plus que de 20%. Les maisons et les biens des personnes déplacées ont été confisqués.
Le 2 décembre, les autorités du canton d’Afrin sous l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie ont publié une déclaration condamnant le changement démographique. Afrin était un canton de l’administration autonome avant d’être occupé. Des centaines de milliers de personnes déplacées ont été installées dans des camps, notamment dans le canton de Chahba, à la frontière d’Afrin.
Le camp de Serdem est l’un de ces camps. Lors d’une déclaration dans le camp, les réfugiés d’Afrin et les représentants du canton ont déclaré que certains groupes palestiniens étaient installés dans l’Afrin occupé.
Selon l‘organisation des droits de l’homme d’Afrin, les associations qataries, koweïtiennes et palestiniennes liées aux Frères musulmans figurent parmi les principaux financiers des groupes armés affiliés à l’État turc à Afrin. Certaines de ces associations seraient Al Aysh Bikerama, Ayadi Al-Bayda, Khouza Al-Bayda, Qatar-Turkey Beyar Association et Qatari Ata Bila Houdoud.
De nombreuses colonies ont été construites à Afrin, notamment grâce au financement du Koweït et du Qatar. Chacune d’entre elles comprend des centaines de foyers. Dans une récente interview accordée à la chaîne de télévision Rudaw, basée au Kurdistan irakien, l’avocat d’Afrin Hussein Naso a déclaré que les Kurdes déplacés de force avaient été remplacés par des Arabes et des Turkmènes.
« L’État turc occupant a construit près de 30 lotissements coloniaux avec le soutien et le financement d’associations affiliées aux Frères musulmans telles que Ayadi al Bayda, Kuwait Al Rahma et Binyan Al Qatari », a dénoncé l’Organisation des droits de l’homme d’Afrin dans un communiqué en août, selon l’agence de presse ANHA.
Des changements démographiques similaires ont eu lieu dans d’autres villes occupées. Selon l’universitaire Ibrahim Muslim, les Kurdes de Giré Spi (Tall Abyad), sur la frontière avec la Turquie, ont également été déplacés : « Entre 70.000 et 100.000 Kurdes étaient revenus de Raqqa à Giré Spi, mais après l’entrée de la Turquie dans la région, il n’y a plus de Kurdes à l’exception de quelques maisons. Le nombre de ces maisons ne dépasse pas une poignée, car les Kurdes ne peuvent pas revenir ici. Environ 60% des Kurdes de Giré Spi vivent dans des camps à Aïn Issa ».
En septembre, Mistefa El Idan, une réfugiée de Giré Spi, a déclaré au journal kurde Yeni Özgür Politika qu’elle vivait dans un camp de réfugiés. « Je vis désormais dans une tente, mais les bandes armées habitent dans ma maison. »
Enlèvements et violations des droits des femmes
L’enlèvement est l’un des crimes qui sont devenus monnaie courante sous l’occupation. Dans un rapport publié le 28 novembre, le Centre de documentation et juridique sur les violations des droits a indiqué qu’au moins 419 personnes avaient été enlevées au cours des 11 premiers mois de 2023 dans les régions occupées par la Turquie à Afrin, Sêrékaniyé et Giré Spi.
Si certaines des personnes enlevées ont été libérées en échange d’une rançon, d’autres sont restées sans nouvelles pendant longtemps. Depuis 2018, des milliers de personnes ont été enlevées rien qu’à Afrin. Selon l’organisation des droits de l’homme d’Afrin, près de 8 500 personnes ont été enlevées à Afrin depuis 2018. Parmi elles, on compte plus de 400 femmes et plus de 150 enfants. Au moins 700 civils, dont au moins 95 enfants, auraient également été tués.
L’organisation Wafidu, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes le 25 novembre, a attiré l’attention sur les crimes commis contre les femmes dans les territoires occupés : « Les femmes de ces régions sont privées de leurs droits à l’éducation et au travail et font face à toutes sortes de difficultés. Les auteurs de harcèlements et de violences, d’enlèvements et de viols restent impunis. »
À suivre…
Partie III : Pillage culturel et écologique à Afrin, ville kurde occupée par la Turquie depuis 2018.
À (re)lire…
Partie I : Occupation turque d’Afrin, tragédie ignorée : des crimes ouvertement annoncés.