Occupation turque d’Afrin, tragédie ignorée : des crimes ouvertement annoncés (1/3)
La ville région d’Afrin, au nord de la Syrie, s’est transformée en un théâtre inédit de tragédie, un laboratoire illustrant tous les aspects de l'occupation turque. Cette région kurde subit au quotidien les ravages de la politique expansionniste et pillarde de l'État turc, le tout sous le couvert d'un silence mortel. Dans ce premier de trois articles, nous évoquons les attaques d’octobre 2023.
Comme une scène de film apocalyptique, un incendie dévastateur en arrière-plan et un jeune garçon criant pour être entendu, le monde est témoin d’une tragédie humaine sans précédent. Les hurlements d’un enfant, les ruines qui parlent, un écho persistant dans l’univers : « Hé, nous sommes ici, sous occupation, victimes quotidiennes d’atrocités. » Mais malgré ces cris, le monde reste sourd, aveugle.
Des guerres, des massacres, et des occupations dévastatrices dirigées par des États se déroulent presque partout dans le monde, de l’Ukraine à Gaza. Cependant, l’une de ces réalités choquantes est largement ignorée, celle perpétrée par la Turquie. En tant que membre crucial de l’OTAN et partenaire commercial, économique, politique et militaire des gouvernements occidentaux, la Turquie a occupé une vaste portion de la frontière syrienne, établissant de nombreuses bases militaires dans la région kurde de l’Irak. Elle bombarde régulièrement le territoire kurde dans le nord de la Syrie, effectue des assassinats par drones, et commet des violations flagrantes des droits de l’homme dans les territoires qu’elle occupe. Alors, pourquoi ce silence mortel ou cette complicité persistante ?
Il n’est pas nécessaire de remonter trop loin, nous ne parlons pas d’une situation qui s’est produite il y a 50 ou 100 ans. Nous ne parlons pas du génocide arménien de 1915, du traité de Lausanne de 1923 qui a créé des frontières artificielles, de l’invasion de Chypre en 1974 ou des massacres de Kurdes, d’Arméniens, de Grecs et d’Assyriens au cours du siècle dernier. C’est ce qui se passe aujourd’hui, avec de nouveaux crimes commis chaque jour… Une politique expansionniste, d’occupation et de pillage est en marche. Sous le couvert du silence, les terres kurdes sont occupées, leurs biens sont considérés comme du « butin » et pillés sans pitié, tout comme le faisait Daech.
Cibles légitimes ?
Plus précisément, l’État turc occupe de nombreuses régions en Syrie depuis des années. Un régime de terreur a été mis en place dans ces régions où les Kurdes sont la cible principale, accusés de « terrorisme ». Cependant, pas une seule pierre n’a été lancée vers la Turquie depuis ces régions.
« Toutes les infrastructures, superstructures et installations énergétiques appartenant au PKK/YPG en Irak et en Syrie sont désormais les cibles légitimes de nos forces de sécurité, de nos forces armées et de nos services de renseignement », a déclaré le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, le 4 octobre.
La déclaration de Hakan Fidan faisait suite à l’attaque du ministère de l’Intérieur à Ankara le 1er octobre, revendiquée par le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en lutte armée contre l’armée turque depuis 1984. Ankara a tenté de convaincre le public que les deux militants du PKK avaient été entraînés dans le nord et l’est de la Syrie. Le PKK a démenti cette accusation. Il s’agissait d’une déclaration officielle selon laquelle les infrastructures civiles seraient directement visées. Si ces crimes sont répétés dans le monde entier, il est rare qu’ils soient déclarés aussi ouvertement par un État. Néanmoins, les États occidentaux continuent de se comporter comme si une telle déclaration n’avait jamais eu lieu et comme si les civils kurdes n’étaient jamais pris pour cibles.
Moins de 24 heures après l’annonce de Hakan Fidan, le 5 octobre, une campagne d’attaques sans précédent a été lancée sur les zones relevant de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie.
Infrastructures civiles bombardées
Selon un communiqué de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES), au moins 104 sites stratégiques, dont des sites pétroliers, électriques, des barrages, ont été bombardés dans près de 600 attaques entre les 5 et 9 octobre 2023. « Les frappes […] ont endommagé des infrastructures critiques et entraîné des coupures d’eau et d’électricité pour des millions de personnes », a déclaré Human Rights Watch le 26 octobre.
Alors que le président turc Recep Tayyip Erdogan et les représentants du gouvernement condamnaient les attaques contre les hôpitaux de Gaza, leurs forces bombardaient et détruisaient des infrastructures, des mosquées, des églises, des écoles et des centres de santé dans le nord et l’est de la Syrie. Dans la nuit du 5 au 6 octobre, l’hôpital Covid, situé dans le village de Giré Fera, dans le district de Dérik, a également été détruit par des avions de guerre turcs. Le 19 novembre 2022, l’État turc avait détruit l’hôpital Covid à Kobanê, une ville martyre symbolisant la résistance kurde face à l’État islamique (Daech).
Depuis 2016, la Turquie occupe les villes de Jarablus, Bab, Afrin, Azaz, Giré Spi (Tal Abyad en arabe) et Serêkaniyê (Ras al-Aïn en arabe), bien qu’il n’y ait pas eu d’attaques contre la Turquie depuis l’administration autonome du nord-est de la Syrie.
Le 17 octobre dernier, après le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre, le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, condamnait Israël en déclarant : « Vous occupez la terre de quelqu’un. Non seulement vous l’occupez, mais vous confisquez sa maison, vous la démolissez, vous le mettez à la porte, puis vous faites venir quelqu’un, vous l’installez là et vous l’appelez ‘colon’. C’est du vol. »
Ces déclarations semblaient décrire les pratiques de l’État turc lui-même : dans les régions qu’il a occupées, l’État turc a déplacé des centaines de milliers de Kurdes et les a remplacés par d’autres personnes, y compris des familles de djihadistes. Le régime mis en place par l’État turc dans les territoires occupés s’incarne particulièrement à Afrin.
À suivre…
Partie 3 : pillage culturel et écologique à Afrin, ville kurde occupée par la Turquie depuis 2018.