Repenser les migrations grâce aux médias, le dernier défi de la FIJ
Migrant Narratives est un site internet créé par la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Mais comment peut-il améliorer la couverture médiatique des sujets migratoires ? Entretien avec l'un de ses fondateurs, Alberto Fernandez.
Depuis décembre 2021, les médias du monde entier ont une nouvelle corde à leur arc : Migrant Narratives. Ce site internet entend améliorer la couverture médiatique des questions migratoires en mettant un ensemble d’outils et de ressources à disposition des journalistes. Il est le fruit d’une collaboration entre l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Alberto Fernandez, en charge du développement du site pour la FIJ, raconte la naissance du projet.
LATITUDES : au départ, quels étaient les principaux objectifs du projet ?
A.F. : L’idée principale était d’améliorer la couverture médiatique des sujets migratoires, partout dans le monde, et d’influencer l’opinion publique vis-à-vis des migrants et des travailleurs migrants. On a constaté que la xénophobie et les discours haineux à l’égard des migrants se multipliaient ces dernières années. On a pensé que c’était le bon moment pour agir en fournissant aux journalistes de meilleurs outils pour couvrir les sujets migratoires. Parfois, on remarque que ces derniers commettent des erreurs parce qu’ils ne disposent pas des ressources, des compétences ou de l’expérience nécessaires pour traiter ces questions correctement. Or, ce sont des sujets sensibles, où l’éthique est fondamentale. Souvent, le public a une fausse idée de ce que sont les migrants, de leur situation, de ce qu’ils apportent à la société, de leur impact sur notre économie, etc. On voulait changer cette perspective, et les médias jouent un rôle essentiel dans la formation de l’opinion publique. En améliorant les pratiques des journalistes, on voulait donc changer la perception que les gens ont des migrations et des travailleurs migrants.
« Les médias jouent un rôle essentiel dans la formation de l’opinion publique »
Comment le projet a-t-il vu le jour ?
L’OIT et la FIJ collaborent depuis longtemps. On partage les mêmes valeurs, en particulier en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux des travailleurs. On a pris conscience qu’il était important d’offrir davantage de ressources aux journalistes et aux médias. Alors, on a lancé ce projet, commandité par l’OIT et mis en œuvre par la FIJ. Une grande partie du travail consistait à identifier les ressources disponibles. Pendant plusieurs jours, on a passé en revue les organisations de médias et les organisations non gouvernementales qui proposaient des outils pertinents pour ensuite pouvoir les rassembler. Maintenant, si un journaliste est à la recherche d’une boîte à outils, d’un guide, d’un glossaire… il peut facilement les trouver sur notre site. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement de ressources générales, puisque certaines renvoient à des pays ou à des régions spécifiques. Elles sont alors disponibles en anglais et dans la langue locale.
À quel type d’outils le site donne-t-il accès ?
C’est une grande plateforme. D’un côté, on y retrouve des glossaires, des guides, des vidéos, des podcasts, des boîtes à outils, des chapitres sur les questions éthiques, etc. Ces outils ont été développés directement par la FIJ ou par d’autres organisations. C’était important de les rassembler sur une seule plateforme pour permettre aux journalistes d’y accéder facilement. D’un autre côté, on a constitué une vitrine des meilleures pratiques journalistiques. Elle regroupe toutes les productions qui ont été récompensées dans le cadre du concours médiatique de l’OIT sur les migrations des travailleurs. Ces récits peuvent aider et inspirer les journalistes en leur permettant de voir ce que d’autres ont déjà fait. Cette vitrine est aussi importante parce qu’elle contient de belles histoires, qui soulignent l’impact positif de la migration sur nos sociétés, les bonnes politiques publiques existantes, l’intégration, etc. Il y a aussi des histoires plus tristes et dramatiques, certes. Mais c’est important de montrer les deux côtés de la migration.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les journalistes dans leur travail sur les migrations ? Quelles sont les erreurs à éviter ?
Parfois, on a pu lire des reportages discriminatoires, dont le contenu était inexact, etc. Cela peut alimenter la haine, la xénophobie et la violence à l’égard des travailleurs migrants. En tant que professionnels des médias, ce sont les principaux écueils à éviter. Ensuite, je dirais qu’il existe deux difficultés principales. La première concerne la sécurité personnelle des journalistes. Dans leur travail, ils peuvent être amenés à révéler des cas de corruption, de violence ou de harcèlement envers les migrants. Cette violence est parfois même institutionnalisée. En Arabie Saoudite par exemple, l’Etat autorise les violences contre les travailleurs migrants. Les journalistes et les travailleurs des médias qui couvrent ce genre d’histoires courent donc certains risques, liés à la censure, à la sécurité, etc. Ils doivent donc s’assurer qu’ils puissent être protégés durant leur reportage. Deuxièmement, il est important que les journalistes protègent la dignité de leurs sources et des protagonistes de leurs récits, et s’assurer que leur reportage ne les mette pas en danger. Parfois, les personnes elles-mêmes ne sont pas conscientes des risques auxquelles elles s’exposent.
« Les journalistes veulent apprendre »
Un peu plus de six mois après le lancement du site, avez-vous déjà pu observer certains résultats ?
C’est une mission à très long terme. Aujourd’hui, on constate encore de mauvaises pratiques, en Europe, aux États-Unis, ou ailleurs. Mais, à terme, on espère observer des résultats positifs sur le travail des médias dans le traitement des questions migratoires. Les journalistes veulent apprendre, améliorer la manière dont ils couvrent ces sujets. Certains, expérimentés ou débutants, nous envoient des messages pour nous demander des informations spécifiques sur un sujet ou sur une ressource dont ils ont besoin. On a également créé un forum où ils peuvent échanger les uns avec les autres, partager leurs expériences, des informations, etc. Je tiens aussi à souligner que, même si la plateforme a été conçue pour les journalistes, c’est aussi un outil pour toutes les personnes qui veulent en savoir plus sur la migration, les travailleurs, les autres cultures, etc. Les utilisateurs lambda peuvent consulter des productions qui sont de très bons exemples de journalisme, bien rapportés d’un point de vue éthique. On cherche à ce que notre site ait un impact positif sur la société. C’est une des missions de la FIJ, en tant première fédération mondiale de la profession avec ses 600.000 membres répartis dans 150 pays du monde…