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Burundi : une affaire d’ «homosexualité présumée» fait un tollé

- 26 April 2023
Le code pénal burundais prévoit un emprisonnement uniquement pour des relations sexuelles consommées entre des personnes de même sexe. © picture-alliance/dpa/K. Ludbrook

Des hommes, des femmes, mais aussi des jeunes... Vingt-sept personnes sont incarcérées à la prison centrale de la nouvelle capitale politique Gitega (centre du Burundi). Ils ont été inculpés pour «pratiques homosexuelles». Plusieurs activistes crient à la violation grave de leurs droits et du code pénal burundais et réclament leur libération.

Le 23 février dernier, vingt-quatre personnes (dix-sept hommes et sept femmes) prenaient part à leur troisième jour de séminaire sur « l’entrepreneuriat des jeunes », à Gitega. Cette activité financée par l’Agence Américaine de coopération (USAID), a rapidement pris fin, pour eux, lorsque des agents de sécurité de la police et du Service national de renseignement ont débarqué pour les arrêter. Parmi les prévenus, il y a majoritairement des adultes, mais aussi quelques jeunes.

« Ce sont des membres d’associations des droits de l’homme et/ou de lutte contre le Sida. Plusieurs d’entre eux sont membres des associations ‘MUCO w’Urwaruka (Jeunes Lumières du Burundi) et ‘HUMURE’ (Réveillez-vous) qui œuvrent auprès de personnes infectées par le VIH/Sida. Ils ont été interpellés sans même qu’un mandat d’arrêt ne leur soit délivré », explique un activiste, membre de l’équipe dirigeante de l’une de ces deux ONG.

Une décision contestée

« Pratiques homosexuelles ou incitation aux pratiques homosexuelles », c’est l’infraction qui a été retenue par les juges, le 6 mars 2023 à Gitega, la capitale du pays. Cette décision fait couler beaucoup d’encre et de salive. « Ils sont inculpés malgré l’absence de tout élément à charge sauf des stupéfiants, des préservatifs et des documents sur les droits des homosexuels que la police a trouvé sur les lieux. Or ce matériel saisi servait comme outils didactiques dans la lutte contre le VIH-Sida », assure un des activistes.

Les personnes arrêtées ne nient pas être homosexuelles, mais s’insurgent plutôt contre la manière dont elles ont été appréhendées.

« Nos deux associations sont reconnues par la loi comme des ONG œuvrant dans le domaine de la santé et de l’entreprenariat. De plus ils n’ont pas été arrêtés en train de faire l’amour. Et donc, même si certains d’entre eux sont des homosexuels et lesbiennes, ils n’ont pas été pris en fragrant délit », a réagi un des président des associations de défense des droits des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) au Burundi, sous couvert d’anonymat. Ces défenseurs crient à la violation grave des droits humains.

L’homosexualité criminalisée

Pour rappel, le code pénal burundais, jugé discriminatoire à l’égard des homosexuels par plusieurs organisations des droits humains, prévoit un emprisonnement pour des relations sexuelles consommées entre personnes de même sexe. Plusieurs articles du code évoquent l’homosexualité.

« Quiconque fait des relations sexuelles avec une personne de même sexe est puni d’une servitude pénale de trois mois à deux ans et d’une amende de cinquante mille à cent mille francs burundais ou d’une de ces peines seulement», est-il écrit dans l’article 590.

L’article 587, quant à lui, dit : « Quiconque a exposé, vendu ou distribué des chansons, pamphlets ou autres écrits, imprimés ou non, des figures, images, emblèmes ou autres objets contraires aux bonnes mœurs, est condamné à une amende de cinquante mille à cent mille francs burundais.»

Et aussi : « Quiconque a chanté, lu, récité, fait entendre ou proféré des obscénités dans des réunions ou lieux publics devant plusieurs personnes et de manière à être entendu de ces personnes, est puni d’une amende de dix mille à vingt mille francs burundais.»

Enfin, l’article 588 rappelle que « quiconque a publiquement outragé les mœurs par des actions qui blessent la pudeur est puni d’une amende de cinquante mille francs à cent mille francs.» Soit entre 20 et 40 euros environ.

“Une véritable honte”

«C’est une véritable honte pour un pays qui se veut démocratique surtout sur les libertés publiques et d’opinion. Nous recommandons au gouvernement burundais de se ressaisir et de libérer sans conditions ces gens. Mais, nous avons le regret d’entendre aussi le président de la République prendre position en défaveur de ces personnes appartenant à des associations dont les principales missions consistent aussi à promouvoir les droits de l’homme et la liberté de la communauté LGBT », insistent les défenseurs. Sans citer le cas de Gitega, le président burundais Évariste Ndayishimiye est, en effet, récemment revenu sur les droits des homosexuels dans son pays.

“Il y a de mauvais comportements : les mariages homosexuels. Dieu l’a-t-il dit ? Il ne l’a jamais prévu! C’est une malédiction ! Je vous demande, à vous les Burundais, de vraiment bannir ce comportement, tous ! Tout Burundais, où qu’il soit, qui s’adonne à l’homosexualité, maudissons-le, tous. Qu’il soit maudit dans notre pays (…)!”, a-t-il insisté lors d’une retraite parlementaire.

Mais s’il s’agit de jouer la carte du religieux, rappelons que le Burundi est à plus de 60% catholique et qu’il y a quelques semaines, le pape François enjoignait ces états homophobes à abroger leurs lois et réglementations « injustes », « l’homosexualité n’étant pas un crime ».

Un avocat s’indigne

Le Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes des Crimes de Droit International commis au Burundi, le CAVIB, parle d’accusations absurdes et sans fondement.

« L’homosexualité est punie uniquement, si des personnes sont prises sur le fait accompli d’après le code pénal qui semble prendre à la légère cette infraction. Raison pour laquelle nous affirmons qu’ils sont détenus en violation du code de procédure pénale. Il n’y a pas d’éléments matériels, ni de preuves tangibles à leur encontre si ce n’est des soupçons qui peuvent être considérées comme des rumeurs, et sans fondement devant la loi », nous fait savoir Maître Gustave Niyonzima, président du CAVIB.

Cet avocat va plus loin : « Il n’y a pas eu non plus d’expertise médicale. Et puis, leur droit à la défense n’a pas été respecté lors des interrogatoires. Le droit de garder le silence, en cas d’absence d’un avocat, leur a été refusé. Les enquêteurs ont ensuite dépassé le délai réglementaire de garde à vue. On peut dire sans se tromper que les personnes arrêtées sont emprisonnées de façon vagabonde», regrette ce professionnel du droit avant de qualifier l’affaire de « vice de procédure ».

En Afrique, dans de nombreux pays, les personnes LGBT sont confrontées à la précarité et aux discriminations dans des sociétés conservatrices, qu’elles soient majoritairement chrétiennes ou musulmanes, où l’homosexualité est taboue. En décembre 2022, 68 pays au monde criminalisaient l’homosexualité. Au moins onze d’entre eux appliquent la peine de mort contre les homosexuels.