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La « 100PAP », une bière fraîche pour réchauffer les sans-papiers

Les revenus de la bière 100PAP sont reversés à des collectifs de sans-papiers. © M.S.

L’ASBL Bruxelles Initiatives a lancé une bière en 2017, la 100PAP, pour en reverser les bénéfices à des groupes de sans-papiers et leur offrir un accès au logement. Mais entre les difficultés logistiques et financières, l’aventure brassicole n’est pas évidente.

« Tiens, est-ce que quelqu’un a pensé à apporter de la bière ? », lance l’un des citoyens présents ce soir-là au parc Maximilien à Bruxelles. Le dimanche 15 octobre 2017, la police débarque peu après 20 heures pour procéder à des interpellations de sans-papiers. Les arrestations sont musclées, d’après des témoins, et 40 à 60 sans-papiers sont embarqués. Ces derniers se réunissent là tous les soirs avec des bénévoles et des habitants pour organiser leur hébergement, ou simplement pour trouver un peu de réconfort et d’humanité.

Personne n’a pensé à apporter de la bière lors de la réunion. Le citoyen renchérit : « Ah mais c’est ça qu’on devrait faire ! Créer une bière qui aide les sans-papiers. » C’est dans ce contexte que surgit l’idée d’une bière solidaire, qui deviendra bientôt la 100PAP.

Le projet 100PAP est géré par l’ASBL Bruxelles Initiatives. Paul, Jérémy et Corinne, trois bénévoles, nous accueillent au Circularium, un « centre d’innovation locale et de production circulaire » situé à Anderlecht. Ils sont au total une dizaine à porter le projet, qui vise à aider les sans-papiers à se loger.

De la Senne au Circularium

Concrètement, la majorité des bénéfices réalisés sur les ventes de bières sont reversés à des collectifs de sans-papiers organisés, « tels que La Voix Des Sans Papiers, pas juste les sans-papiers individuels », explique Paul. « Les collectifs ouvrent des bâtiments vides dans Bruxelles et négocient une convention d’autorisation précaire avec le propriétaire, entre autres.»

La Pale Ale à 6 degrés est brassée à la Brasserie de la Senne, puis est acheminée au Circularium, par Dioxyde de Gambettes, une société de livraison à vélo-cargo qui y est, elle aussi, installée. C’est elle qui gère les livraisons proches ; BimBamBelge, une autre société, se charge, quant à elle, de livrer les bières à Wavre. La 100PAP est distribuée dans un certain nombre de bars, supermarchés et magasins d’alimentation. La bière vous coûtera par exemple 4,30€ si vous la dégustez au bar l’Amère à Boire, proche de la place Flagey, ou 2,60€ dans une épicerie White Night.

Biologique et locale

Depuis la crise du covid et la fermeture de l’Horeca, la 100PAP est passée à l’agriculture biologique et locale. C’est ce qui lui a permis d’être vendue dans des magasins bio, tels que Färm, pour survivre à la crise sanitaire. “Le bio semble important, parce que si ce ne sont pas forcément les mêmes personnes qui sont touchées par le bio et par la cause des migrants, les personnes sensibles au bio ont plus de chance d’être touchées par les causes sociales en général”, suppose Jérémy, bénévole prenant part au projet 100PAP.

En plus de cette bière solidaire, les bénévoles viennent de lancer une gamme de limonades, parmi lesquelles on retrouve différents goûts : la limonade aux fruits de la passion avec une pointe piquante, la limonade au basilic et la limonade au gingembre. « La plupart des gens qu’on aide sont musulmans, donc les aider en vendant de la bière ce n’est pas top. La limonade, c’est mieux, on peut même leur en donner », explique Paul.

 

La gamme 100PAP s’est élargie pour accueillir trois limonades. © P.F.

Beaucoup de volonté, peu de moyens

L’aventure 100PAP a été laborieuse pour les bénévoles de l’ASBL Bruxelles Initiatives. Première difficulté : la saturation du marché de la bière : « C’est difficile de se placer sur le marché, d’autant plus que personne ne gère la prospection » au sein de l’ASBL, explique Paul.

Les bénévoles ont aussi dû s’improviser commerçants : « On n’a pas toujours les réflexes marchands, on essaie de convaincre sur nos valeurs mais notre première nature n’est pas de vendre. Et on n’a pas de subvention, c’est difficile de s’offrir de la visibilité avec nos moyens », indique Jérémy.

Les limites financières et de temps entravent l’action de l’ASBL, décrit Paul. « On n’a pas le temps ni le personnel pour réellement faire les suivis des occupations. Si on veut faire des travaux, il faut trouver les partenaires qui veulent faire ces travaux, qui soient disponibles à des coûts raisonnables. »

Corinne, architecte, gère les relations logistiques avec les occupations de sans-papiers : elle reçoit les demandes lorsqu’il y a un problème, ou qu’il faut faire un devis pour des travaux. L’ASBL participe également à des réunions, notamment avec des CPAS ou des communes, pour soutenir des collectifs de sans-papiers.

« On a été les chercher un par un, les euros »

Le projet 100PAP est en fait un double projet : produire et vendre de la bière d’une part, et récolter autant d’argent que possible, d’autre part. « On a été les chercher un par un, les euros », ajoute Paul.

Ce dernier nous rappelle que le fonctionnement financier du projet n’est pas simple : « Tous les bénéfices vont aux sans-papiers mais on a besoin d’argent pour faire tourner l’ASBL. Chaque année, on regarde combien on fait de bénéfices, et on en distribue un maximum. À côté de ça, on a de l’épargne à long terme, c’est-à-dire qu’un CPAS ou une commune disent parfois qu’ils vont payer pour des travaux par exemple, mais il faut avancer l’argent, donc on va payer et plusieurs mois après, voire un an plus tard, on retouchera cet argent. »

Une autre difficulté relevée par les membres de l’ASBL réside dans le fonctionnement même de l’association : « On travaille en démocratie horizontale, il n’y a pas de hiérarchie. On décide de tout, tous ensemble le mardi soir, ce qui prend plus de temps. »

« Il faudrait une bière solidaire pour chaque cause »

Les bénévoles du projet 100PAP ont à cœur de répondre aux faibles politiques publiques en matière d’accueil des sans-papiers. Quand nous osons demander à Paul ce qu’il pense de ces dernières, il nous demande d’abord si on plaisante, puis livre un constat froid. « Plein de sans-papiers qu’on aide font des jobs qu’on ne veut plus faire, dans une situation catastrophique, comme être à trois dans un Uber, ou faire des livraisons à vélo. »

 

Paul, Jérémy et Corinne, bénévoles à l’ASBL Bruxelles Initiatives, en réunion. © M.S.

Une bière qui a fait mousse

La 100PAP a été bien accueillie par les consommateurs. « On n’a que des retours positifs, en général », affirme Paul, même si, comme il le raconte, elle ne plaît pas à tout le monde : « J’ai un pote qui a mis la 100PAP dans son établissement, où tous les politiciens vont boire un verre. Il y en avait trois de la N-VA, il leur a mis trois 100PAP avec un grand sourire. Quand ils ont eu fini de boire, il leur a expliqué l’histoire de la bière, et l’un des trois a dit elle a moins bon goût, du coup”. »

Les bénévoles se sont facilité la tâche en proposant de vendre la 100PAP, entre autres, dans des occupations et des squats. « Évidemment, on est tout de suite pris, parce que là il n’y a pas de contrat de brasserie, tu peux mettre les bières que tu veux. Les contrats, c’est dur parce que 70% des bars sont sous contrat, et donc tu ne peux pas introduire un nouveau produit. » Les établissements qui signent des contrats d’exclusivité pour vendre de la Maes, ou de la Jupiler, par exemple, ne peuvent pas servir de la 100PAP.

Au bar L’Amère à boire, qui propose la 100PAP depuis plusieurs années, le patron a accueilli l’initiative avec enthousiasme : « J’hébergeais des migrants quand on l’a reçue, donc c’est cool, c’est super. » Dans son bar, les clients achètent la 100PAP en connaissance de cause, car « un écriteau indique qu’il s’agit d’une bière solidaire dont les bénéfices sont versés aux sans-papiers. »

Les seules critiques émises contre la 100PAP proviennent des « aficionados de la bière », précise Jérémy. « Ils trouvent que la nôtre est un peu banale, grand bien leur fasse. On n’a pas voulu une bière de niche, on a justement voulu une bière qui puisse plaire au plus grand nombre, notre bière n’est pas très spéciale. »

De 2017 à 2021, l’ASBL a vendu plus de 250.000 bières, a pu reverser près de 62.000€ aux occupations, et a épargné quasiment 34.000€, une réserve permettant d’aider les occupations temporaires, via des avances de fonds. Par exemple, en 2021, les ventes de 100PAP ont permis de payer plus de 18.000€ de factures, notamment d’énergie, d’assurances, de plomberie, de rénovations, et le fonctionnement du site internet du projet. L’objectif à terme est de reverser 80%, pour réinvestir les 20% restants.

Paul et Jérémy sont optimistes quant à l’avenir de leur projet. Ils aimeraient augmenter le nombre de distributeurs, qui sont actuellement quinze et développer une nouvelle limonade ou une deuxième bière. Réussir à stabiliser leurs relations avec les distributeurs leur permettrait aussi de se concentrer uniquement sur la bière et les potentiels futurs produits.

Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA2 de l’ULB/VUB sous la coordination d’Alexandre Niyungeko, Gabrielle Ramain, Lailuma Sadid et Frisien Vervaeke.